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Patati & Patatra
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Témoignage

Un dimanche à République

 

Dimanche 29 Novembre 2015

 

11h20: Un couloir de métro quelque part dans Paris... Je textotte à ma sœur que je vais "où elle sait". Elle me répond "Ah, tu vas à la marche ?". Merci la discrétion ! Oui, je sais, je commence passablement à être parano ces temps-ci... A tord ou à raison mais bon... mieux vaut prévenir que guérir comme dit l'adage...

11h34: Je m'approche du lieu fatidique... la station République n'est plus très loin. Je demande des nouvelles à l'ami que je vais rejoindre pour savoir si il est déjà sur place et comment ça se présente. Il me répond que c'est plutôt calme.

 

11h45: J'émerge de la sortie principale, au pied de la statue, un peu anxieux mais bon. Je sais pourquoi je suis là. Et je n'ai ni regret, ni honte. Je ne suis pas là pour moi. Je suis là pour celles et ceux qui aujourd'hui n'ont pas voix au chapitre, les enfants d'ailleurs et de demain. Une brève conversation téléphonique. L'ami me repère et m'indique de pas bouger. On se retrouve. Il était déjà là avec sa sœur et une connaissance.

 

Autour, la place n'est pas noire de monde. Mais tout de même.

 

Ici et là, diverses personnes parfois venues de loin apportent leur messages d'espoir et d'avenir, de réconfort aussi. Une paire de chaussure, un mot, une petite pancarte...

 

J'en profite pour mettre mon gilet fluo de l'ACIPA. Vrai symbole de reconnaissance qui me vaudra d'ailleurs dans l'après-midi une bonne demi-douzaine de discussions, accolades chaleureuses et d'encouragements par de parfaits inconnus.

 

Un couple de pas si touristes que ça, visiblement asiatique, vient d'ailleurs me voir en pensant que je suis de l'organisation. La cinquantaine, en tout cas nettement plus que la moyenne d'âge autour de moi, un peu effrayés, ils embrayent la conversation en anglais. Me demandent où est la marche, la chaîne humaine, qu'est ce qu'il se passe. Je leur réponds comme je peux: je ne sais rien. L'organisation est complètement dissoute du fait de l'interdiction de la marche.

 

Un groupe venant visiblement de toute l'Europe arrive alors avec 3 camionnettes pour organiser et servir un repas chaud, vegan, à prix libre, pour plusieurs centaines de personnes. Ils viennent s'installer entre la sortie du métro et la statue. On se déplace un peu pour pas les gêner. Un jeune garçon prend la parole avec un mégaphone pour demander si certains veulent bien les aider pour tout installer et expliquer pourquoi ils sont là.

 

Je reprends ma conversation avec les 2 étrangers. Ca ma sauté aux yeux: pas d'organisateurs, rien de mis en place, pas de "service d'ordre". Comme un rassemblement spontané... mais ça n'en est pas un (ou ne devrait pas l'être). Seul, pas si loin que ça, en fait dans toutes les rues débouchant sur la place, un très important dispositif policier.

 

Il est près de midi et quart. Ils voudraient aller à la chaîne. Je leur indique la direction vers Oberkampf et Nation, mais le boulevard Voltaire est évidemment celui qui concentre le plus de CRS déjà en place.

 

A mesure que nous discutons, le dispositif se renforce. La ronde de camions blancs (merci la Parisienne libérée! Mais ici, pas de GM, donc pas de camions bleus) fait sont ballet autour de la place. L'ami et sa sœur comptent les cars, voient passer le panier à salade... On a pas particulièrement peur. On se réconforte en rigolant. On se moque un peu pour se donner du courage...

 

12h30 On envisage nous aussi d'aller vers la chaîne (on apprendra après que c'est vers ce moment qu'elle a été dissoute de toute façon). On s'avance tranquillement et calmement vers le cordon ininterrompu au départ du boulevard Voltaire.

 

Ah... Voltaire, que doit-il penser de ce que notre pays devient en ces heures difficiles... Certes, il en a connu d'autres, depuis sa tombe, ce cher François-Marie... mais tout de même.

 

J'ai fêté hier mon tiers de siècle, la moitié d'une vie, et bientôt papa, si j'en crois les augures... et pourtant ! Non, ce nouveau visage que montre mon pays... je ne le reconnais pas. Il me fait peur et certains relents qu'il exalte me donnent la nausée.

 

J'ai déjà connu les manifestations et le face à face tendu avec les forces de l'ordre. Mais pas à ce point là. Face à moi, un rempart infranchissable ? En fait non. Un petit passage est laissé libre, les gens peuvent sortir un par un de la place, par le Boulevard du temple, entre deux haies de CRS. Nous en reparlerons...

 

Le plus étonnant n'est pas là: un nombre important de gens arrivent par le boulevard Voltaire... et sont libres de passer ! En nombre ! En fait, on peut entrer sur la place mais (presque) pas en sortir !

 

On se fait la réflexion que c'est une bien curieuse manière d'interdire une manifestation...

 

En tout cas, une bonne partie des gens qui étaient à la chaine affluent désormais vers la place.

 

On voit ici où là divers drapeaux - très variés -, diverses pancartes, plus ou moins dans le thème. Certain(e)s qu'on apprécie, d'autres moins... Idem pour les slogans.

 

Tour d'ivoire au milieu de cette foule bigarrée, le Crowne Plaza et ses dorures rutilantes forme un coin de la place de la République. Un défilé de motards, gyrophares allumés, escorte une poignée de voitures non moins rutilantes qui en sort. Mon ami reconnait le drapeau du Botswana. Certainement une délégation officielle. La COP n'est pas loin. Je verrais plus tard cette photo qui m'inspire: les Cops non plus, ne sont pas loin !

 

12h45: un petit groupe de jeunes tentent de lancer le mouvement au son de "Si on marche pas, ça marchera pas !". Le slogan semble suffisamment porteur, suffisamment pacifique et consensuel pour fédérer et palier à l'absence d'organisation.

 

Notre propre petit groupe décide d'emboiter le pas. On rejoint la ronde qui se forme, et qui scande le slogan à tue-tête, en invitant les autres à nous rejoindre. Après tout, si on ne peut pas marcher vers Nation, on peut toujours marcher autour de République !

 

Beaucoup de gens nous regardent avec enthousiasme, filment, prennent des photos, applaudissent. Quelques dizaines nous rejoignent et chantent avec nous.

 

Quelques tours de la place plus tard, on se dit qu'on va attendre 14h et le départ "officiel" prévu de la marche...

 

On est content, c'est sympathique. Entre la tambouille, les petits groupes de musique, une magnifique grosse-tête qu'on baptise unanimement "Mademoiselle Terre" (et dont un sein magnifique vient de se dénuder). Il y a autour de nous des gens de tous âges, de tous milieux, de tout pays aussi. Des parents avec enfants, un papa qui donne à manger à son bébé. Je m'étonne, mais non. Ce sont les hommes et les femmes du monde, et la vie continue... malgré les horreurs et les absurdités... formidable pied de nez au présent, magnifique salut à l'avenir.

 

La place est maintenant noire de monde. Notre petit groupe compte désormais une poignée de membres: amis, frères, sœurs. On se connait pas tous et pourtant... Un accord tacite nous lie désormais: ne pas se séparer. Rester ensemble. Veiller les uns sur les autres. Eviter les problèmes.

 

Et des problèmes, on le sent, on le sait... tout est réuni pour qu'il y en ait.

 

On n'en veut pas. L'immense majorité des gens autour de nous sont là parfaitement pacifiquement. Mais la horde armée autour de nous nous rappelle à sa présence. Menaçante.

 

Des problèmes... il y en aura.

 

13h30 La ronde qui marche reprend. Beaucoup plus nombreuse maintenant. Un premier tour pour investir la chaussée et impulser le mouvement. Le slogan a changé: c'est désormais un plus positif mais qui sonne moins bien à mon goût "Si on marche, ça marchera !". Suivit de "L'état d'urgence est climatique".

 

Devant le boulevard Voltaire un bref face à face. Mais la lutte est inégale. Elle ne vaut pas la peine. On aurait été 10 fois plus qu'on ne serait pas passé pour autant. Nous sommes désarmés et pacifiques, face à des robocops surentrainés et, gros changement par rapport au bocage de NDDL, ils sont dans leur élément, sur leur terrain, à leur avantage. Ils ont choisi leur position depuis longtemps, ils bloquent le verrou de l'entrée du boulevard. A l'endroit propice...

 

La ronde continuera donc de tourner et un grand cercle s'organise au milieu du carrefour...

 

Placides, les CRS sont moins de 5 mètres dans mon dos.

 

Environ 14h00.

 

Le cortège reprend quelques minutes plus tard et reprend son tour de la place.

 

Mais pas longtemps. Quelques instants après, boulevard de la République... Nous l'avions vu, nous l'avions senti... contrairement aux autres rues, où le dispositif policier se trouve juste à l'entrée de la place, là, il se trouve environ 150m plus loin, au carrefour de la rue de Malte. Laissent l'entrée de la rue libre pour que le groupe s'y engouffre.

 

Et là, les choses se précipitent. Quelques dizaines de "gens en noirs" comme le rapporte le journaliste de Reporterre pour éviter de les catégoriser, courent vers l'avant. Les drapeaux anarchistes nous dépassent. Du début de cortège, nous nous retrouvons plus au centre. On retient les plus téméraires d'entre nous. Ne pas s'approcher trop. Ne pas courir. Surveiller autour de soi. Garder un œil sur "les nôtres". L'instinct nous exhorte à la prudence.

 

50 mètres devant nous, l'ambiance change. Un jeune près de moi dit "Pourquoi ça ressemble furieusement à un guet-apens ?". Je suis d'accord avec lui. Si la nasse se referme derrière nous, ça va être compliqué. Heureusement, le bout de rue est trop petit pour que la totalité des gens présents sur la place puissent y entrer.

 

Devant quelques bouteilles (visiblement en plastique) et autres paires de chaussures volent vers les CRS. Rien de bien méchant. La réplique ne se fait pas attendre. Le premier rang se fait copieusement arroser de spray au poivre. Le cordon tient bon.

 

Au mot "Liberté" qui commence à être scandé par la foule, résonne un slogan revisité pour l'occasion "Etat d'urgence. Etat policier. On nous enlèvera pas le droit de manifester !"

 

Un quart d'heure de face à face. Une poignée de grenades assourdissantes mais pas de lacrimo (le vent souffle dans notre dos, face aux CRS, c'est probablement ce qui nous a sauvé à ce moment). Le dispositif tient bon. Ils ne nous laisseront pas passer. A nouveau, ils sont à leur avantage et notre nombre, quel qu'il soit, n'y fera rien.

 

Un bruit court que la place serait en cours d'être envahie... il faut reculer. Tranquillement, au pas. Toujours ne pas courir. Ne pas perdre de vue les siens. Regarder où on marche. S'assurer que tout le monde s'en sort. Calmer et rassurer.

 

Arrivé sur la place, le cordon du Boulevard Voltaire s'était bien avancé d'une bonne cinquantaine de mètres. Devant le reflux du cortège, ils battent en retraite pour rejoindre leur position défensive.

 

Environ 14h30.

 

Une belle (et grosse!) voiture, conduisant la délégation chilienne, sortant elle aussi du Crowne Plaza, s'approche de nous. Le conducteur semble un peu déboussolé. Il veut passer boulevard Voltaire ! Mon ami lui indique le désormais libre boulevard de la République. Lui, n'aura aucun mal à passer !

 

De ce côté de la place, côté Est donc, les gens s'assoient, chantent, dansent. Un batucada endiablé, tous habillés en rose, rythme la cadence. Les gens rient et s'amusent. Voilà les manifestations comme je les aime. Les CRS sont juste à côté. Ils ne nous laissent pas passer. Mais ils restent tranquilles. A leur froideur répondent nos rires et notre bonne humeur.

 

De l'autre côté par contre, ça chauffe. On voit au loin les drapeaux anarchistes. En l'air l'hélico est arrivé. Quelques uns de notre côté lui font des coucous innocents. Je préfère éviter... on sait jamais ! Mais la tournure est claire: ils ne nous ont pas laissé le choix: les volutes se font plus importantes et rapidement plus proches. Ils sont là-bas dans le sens du vent et les lacrimo ne font pas trop de discernement désormais. Chacun se protège comme il peut. Ce n'est pas très dense mais suffisant pour sentir les premiers picotements caractéristiques.

 

La sœur de mon ami, d'une voix d'enfant dit, à moitié en rigolant, "ils sont méchants, ils polluent avec leur lacrimos".

 

Il est près de 14h45 maintenant. Et c'est là qu'on reparle du petit passage boulevard du temple... La batucadas termine un morceau. On s'interroge dans le groupe sur que faire. Les CRS laissent toujours passer un petit filé de gens, toujours un par un, sur le trottoir surélevé côté gauche de la rue. Ils laissent planer le doute... la menace de fermer à tout instant ce petit échappatoire... La décision est rapidement prise: il ne sert à rien de s'éterniser ici. C'est peut être de la lâcheté ou un peu de réalisme...

 

La suite nous donnera malheureusement largement raison.

 

Une membre du groupe souhaite rester. Elle est avec d'autres amis. Ca m'inquiète un peu. Mais c'est sa décision. Le reste décide de partir. Toujours calmement, les uns derrière les autres, nous rejoignons les quelques marches d'escalier.

 

Petit instant de panique: quelques personnes devant nous, le premier CRS de la haie se met subitement à fermer le passage devant un homme qui a du avoir la peur de sa vie. Un homme visiblement sans signe extérieur particulier. Mais la porte s'est fermée devant lui. Il ne comprend pas. Le CRS devant lui ne dit rien. Nous sommes à quelques mètres, et toujours à l'intérieur.

 

Quelques instants après, aussi subitement, la brèche s'ouvre à nouveau, mais de l'autre côté de la rampe médiane de l'escalier. Nous montons une à une les marches. Arrivé en haut, avant de sortir, mon ami se retourne. S'assure que nous sommes tous bien là. Sa sœur, l'amie de sa sœur, moi. Tout semble bien aller. Il passe. Je ferme la marche. Je croise les doigts pour que mon gilet fluo - pièce à conviction ! - n'attire pas trop l'attention.

 

Oui, je me sens comme Pagnol, dans le Château de ma mère... comme si j'avais réellement fait quelque chose de mal, enfant bien éduqué et emplis de scrupules que j'ai toujours été et que je suis toujours. Pour la majorité des gens, je suis "de ceux qui ont désobéi". Et pourtant, je n'ai fait que prétendre exercer, envers et contre tout (mais surtout pour l'avenir) ce droit inaliénable de manifester !

 

Derrière, les policiers sont toujours aussi nombreux, mais semblent moins tendus.

 

Au loin on entend plus de grenades.

 

On reste un peu en retrait derrière le cordon. Plusieurs centaines de personnes passent encore derrière nous. Plus tard, quelques percussionnistes de la batucada nous dirons que d'autres des leurs sont encore "là-bas".

 

Très vite, nous comprenons que peu après, la brèche s'est refermée. Entièrement. Un journaliste écrira: "En quelques minutes, toutes les issues se sont refermées. C’est une prison à ciel ouvert qui attend désormais, pour plusieurs heures, ces centaines de manifestants qui chantaient et dansaient alors pour le climat."

 

Plus tard, nous lirons, mais évidemment pas dans les média nationaux, et entendrons de diverses sources, que très vite il n'y avait plus aucun des "hommes en noir" disparus comme par magie.

 

Plus tard nous apprendrons les centaines d'interpellations, les presque aussi nombreuses gardes à vues, les conditions très limites et profondément arbitraires de ces arrestations. Majoritairement de gens totalement inoffensifs et pacifiques qui n'ont d'autre tord que, comme moi, comme nous tous, d'avoir bravé le pouvoir et son interdiction de manifester.

 

Mais nous n'étions, à tord ou à raison, plus là. Nous remontons en silence le boulevard du temple. Une mère tente de réconforter sa petite fille effrayée. Elle s'insurge contre ce dispositif. Elle a peur elle aussi. Certainement plus encore que sa fille. Elle ne comprend pas. Elle pense que s’ils nous avaient laissé marcher, rien de tout cela ne serait arrivé. Je suis d'accord avec elle mais ce n'est plus la question. On lui parle pour la calmer et ne pas propager encore un plus ce sentiment.

 

Je regarde le visage de sa fille. Elle doit avoir 8 ans peut-être. Je ne peux m'empêcher de penser: est-ce cela l'avenir que je veux pour mon enfant à naître ? Dans deux semaines, 2, peut-être 3, grandes régions passeront à l'extrême droite. Des amis y vivent. J'y ai de la famille proche. Ce n'est plus ce pays lointain qui sombre dans la guerre civile.

 

On y est pas encore, bien sur. Mais on s'en rapproche chaque jour un peu plus. Le chaos ou l'état policier. La dictature ou la guerre civile. La peste ou le choléra !

 

Dans ma tête reviennent cette vidéo de cette ONG britannique montrant cette petite fille, qui, d'un anniversaire à l'autre, voit sa vie basculer. Et aussi les planches de Zep où Titeuf découvre la guerre "mi petit, mi grand".

 

Non. Je ne veux pas de ce choix-là !

 

Cela me redonne courage et me renforce dans mon opinion : je n'ai pas à rougir de ce que j'ai fait.

 

On se sépare à la prochaine bouche de métro: les biens nommées filles du Calvaire. Ah, que chaque coin de rue de Paris est lourd de sens et riche d'histoire... voulons-nous vraiment mettre tout cela en péril ?

 

Chacun part dans sa direction. Je salue mon ami. Je sais que nous nous reverrons bientôt, mais pas à Paris. L'une des filles du groupe part dans la même direction que moi. Tacitement, on décide de faire un bout de chemin ensemble. Elle me parle un peu de ses projets. J'espère qu'elle y parviendra. On parle aussi de ce qu'on vient de vivre. Elle semble plutôt sympa. Je ne connais même pas son prénom. Elle me fait la bise en partant. On se dit au revoir. Elle sort prendre sa correspondance.

 

Je continue dans ma direction et intérieurement, je lui souhaite bonne chance. Nous allons tous vivre des moments difficiles.

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